Si les énergies vertes continuent à augmenter plus rapidement que tout autre segment dans le secteur de l'énergie, elles restent encore nettement en deçà des options énergétiques conventionnelles à fortes émissions de carbone en raison d'obstacles en termes d'efficacité et de capacité. Ces limites empêchent l'énergie verte de devenir une option prédominante et d'être adoptée de façon globale. Quelle autre forme d'énergie évolutive, sans émission de CO2 pourrait nous aider à combler les lacunes en attendant que l'énergie verte devienne une réalité à grande échelle pour nous ? Le profil sans carbone de l'énergie nucléaire, son efficacité prouvée et son évolutivité pourraient-ils faire de l'énergie nucléaire une candidate de transition et éventuellement une autre option d'énergie viable et largement acceptée à l'avenir ?
Outre leur empreinte à zéro émission, les 450 centrales nucléaires environ de la planète fonctionnent aujourd'hui au maximum de leur capacité plus de 90 % du temps, contre 50 % pour les centrales à charbon et 25 % pour les centrales solaires. Pourtant, les centrales nucléaires ne fournissent qu'environ 10 % de l'électricité consommée dans le monde (Figure 1). Pourquoi l'énergie nucléaire ne s'est-elle pas développée plus vite au fil des années ?
Même s'il s'agit d'une option de production d'énergie éprouvée et économique, l'énergie nucléaire est victime d'une image controversée en raison des risques associés à la radioactivité et à son impact sur l'environnement. Les accidents de Tchernobyl et Fukushima nous ont rappelé que la fission atomique requiert un contrôle et une vigilance sans faille et que de petits incidents peuvent se transformer en catastrophes majeures.
Réactions nucléaires et radioactivité
Avec plus de 18 000 années-réacteurs d'expérience, la technologie des réacteurs nucléaires est bien établie, diversifiée et bénéficie de décennies d'améliorations technologiques qui rendent les réacteurs plus sûrs, plus fiables, durables et efficaces.
Pour générer de l'électricité, les centrales nucléaires utilisent un mélange d'isotopes d'uranium, principalement de type 238U et 235U, comme combustible.La plupart des centrales nucléaires commerciales utilisent de l'uranium faiblement enrichi (UFE), c'est-à-dire de l'uranium 235U enrichi de 3 à 5 %, par opposition à l'uranium hautement enrichi (UHE) qui utilise des concentrations de 235U atteignant environ 90 %, soit le niveau nécessaire pour la production d'armes nucléaires.
Une fois dans le réacteur en tant que combustible UFE, l'uranium 235U et 238U suivent deux parcours de transformation atomique différents, comme l'illustre la Figure 3.En capturant un neutron, comme dans le cas du 238U qui se transforme en 239Pu fissile, le 239Pu et le 235U subissent une fission qui les divise en plus petits noyaux, c'est-à-dire en produits de fission. Les réactions de fission libèrent également chacune trois neutrons et une quantité d'énergie considérable sous la forme de chaleur et de rayonnements ionisants.
Cette transformation, ou décomposition nucléaire, est à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction, parce que par rapport au petit volume de combustible utilisé, elle produit d'énormes quantités d'énergie qui seront extraites par des échangeurs thermiques et des turbines à eau à haute pression pour produire de l'électricité. Une malédiction, parce que la transmutation associée à la décomposition atomique produit aussi des rayonnements et des particules ionisantes, collectivement appelées radioactivité. La radioactivité dans le réacteur pour la production d'électricité est désirable, mais cette radioactivité reste présente dans les déchets de combustible, appelés « combustibles usés » et peut être nocive si elle n'est pas contenue et contrôlée.
Au bout de 3 à 5 ans d'activité nucléaire continue dans un réacteur, la concentration de combustible dans les isotopes fissiles passe sous le niveau minimum pour entretenir une réaction en chaîne à des fins de production d'électricité. Le combustible usé est déchargé du réacteur et classé comme déchets radioactifs de haute activité (DRHA). Les DRHA ne représentent que 3 % du volume total des déchets radioactifs, mais 95 % de la radioactivité totale des déchets. Par conséquent, les DRHA sont au cœur des stratégies de gestion des déchets radioactifs dans le monde entier.
Une centrale nucléaire moyenne, d'une capacité de 1000 MWe (suffisante pour alimenter en électricité plus d'un million de personnes), produit 25 à 30 tonnes de DRHA par an et zéro émission de carbone. Une centrale à charbon libère chaque année 300 000 tonnes de cendre et plus de 6 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère. Toutefois, la réduction de l'empreinte carbone et de la puissance radioactive des déchets nucléaires par un retraitement et la réutilisation du combustible usé résoudrait un problème complexe lié à la gestion des déchets dangereux.
Options de recyclage du combustible nucléaire usé
La technologie de retraitement du combustible nucléaire usé existe depuis la fin des années 1940. Elle est bien comprise et a fait ses preuves techniquement, mais seuls quelques pays ont investi dans le retraitement. La France et la Russie sont les deux principaux pays qui retraitent et réutilisent le combustible usé. En moyenne, environ 95 % des déchets de combustible usé sont composés d'uranium (principalement du 238U), auquel s'ajoute 1 % de plutonium et un certain nombre de produits de fission de numéro atomique moins élevé et d'actinides mineurs (Figure 4). La technologie de retraitement du combustible usé permet de séparer les isotopes d'uranium et de plutonium d'autres actinides et produits de fission.
L'option de retraitement prédominante est appelée PUREX (plutonium and uranium reduction extraction). La méthode PUREX utilise la technologie de séparation hydrométallurgique pour séparer le combustible usé en trois phases :
- Isotopes d'uranium
- Isotopes de plutonium
- Produits de fission avec des actinides mineurs
Cette troisième phase est considérée comme des DRHA en raison de la présence de ces actinides mineurs et de produits de fission hautement radioactifs à vie moyenne (c'est-à-dire le 90Sr et le 137Cs avec des demi-vies radioactives d'environ 30 ans). L'avantage principal de la technique PUREX est qu'elle permet de recycler de gros volumes d'uranium utilisable qui seraient autrement considérés comme des déchets et de réduire considérablement le volume de DRHA.
Bien que la méthode PUREX réduise le volume de déchets, elle ne traite pas leur radioactivité. De plus, la séparation du 239Pu d'autres actinides génère des préoccupations quant à la prolifération des armes nucléaires.
Des variantes du processus PUREX ont été proposées et mises en œuvre dans le monde entier pour traiter la radioactivité des DRHA et les risques de prolifération du plutonium. Ces variantes de PUREX consistent à mélanger le 239Pu avec des actinides mineurs qui l'empêcheraient d'être transformés en armes tout en créant un mélange acceptable de combustible d'actinides retraité. D'autres variantes consistent à mélanger l'uranium, le plutonium et tous les transuraniens (éléments dont le numéro atomique est supérieur à celui de l'uranium), en laissant les produits de fission comme seuls déchets.
Le recyclage des DRHA est justifié lorsqu'on considère que plus de 90 % de l'uranium n'est « pas consumé » lorsque les barres de combustible usé sont déchargées du réacteur. Le recyclage de l'uranium et du plutonium inutilisés permet de générer 25 à 30 % d'électricité en plus. Fin 2020, 400 000 tonnes de combustible usé avaient été générées dans le monde par les réacteurs nucléaires commerciaux, dont environ 120 000 tonnes (30 %) ont été retraitées et réutilisées comme combustible nucléaire.
Progrès dans la conception des réacteurs numériques
Les progrès récents dans la conception des réacteurs nucléaires ont amélioré l'efficacité et la sécurité de la production d'énergie. La Collection de contenus CAS™ révèle une augmentation significative de l'activité des brevets et des journaux depuis 2018, ce qui indique un regain d'intérêt, principalement sous l'impulsion des entreprises asiatiques (Figures 5a et 5b).
La Figure 6 présente le volume de publication associé aux nouvelles conceptions avancées de réacteurs nucléaires. Les données confirment une activité de recherche croissante autour de ces nouvelles technologies de réacteurs nucléaires.
Potentiel futur de l'énergie nucléaire
La renaissance de l'énergie nucléaire est un thème récurrent, mais plusieurs obstacles et défis la rendent encore difficile pour permettre à l'énergie nucléaire de répondre aux espoirs et aux promesses qu'elle a générés il y a des décennies. L'investissement initial considérable, les réglementations changeantes, les dépassements de coûts et la polarisation politique ont fait de la livraison des centrales nucléaires un parcours tortueux qui s'étire sur des décennies. Cela s'est avéré très dissuasif pour les gouvernements et les investisseurs qui redoutent d'investir dans l'énergie nucléaire, même si ses avantages et son potentiel sont prouvés et indéniables. Un récent article du Wall Street Journal traite également de certains de ces enjeux ainsi que des développements récents dans le domaine des technologies nucléaires.
Le besoin de sources d'énergie sans carbone, les progrès des nouvelles technologies de réacteurs nucléaires et les nouvelles alternatives de recyclage et de réutilisation du combustible usé pourraient propulser l'énergie nucléaire parmi les outils majeurs de lutte contre le changement climatique mondial.
Remerciements à Elaine McWhirter pour ses conseils scientifiques.
Références pour l'animation nucléaire
AIE, Perspectives sur l'énergie mondiale. https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2022 (consulté le 09/01/2023)
World Nuclear Association. https://world-nuclear.org/nuclear-essentials/how-can-nuclear-combat-climate-change.aspx (consulté le 09/09/2022)
NEK. https://www.nek.si/en/longevity-for-sustainability/production-performance/high-energy-density-of-uranium-is-one-of-key-advantages-of-nuclear-energy (consulté le 09/09/2022)
World Nuclear Association. https://www.world-nuclear.org/information-library/nuclear-fuel-cycle/fuel-recycling/processing-of-used-nuclear-fuel.aspx (consulté le 09/09/2022) AIE,
Perspective sur l'énergie mondiale. https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2022 (consulté le 09/01/2023)