La recherche pilotée par IA continue à s'accélérer et franchit des étapes essentielles, notamment la découverte de médicaments.Le premier candidat médicament conçu par l'IA à entrer en phase d'essais cliniques a été annoncé par Exscientia début 2020 : il s'agit d'un tournant majeur dans la découverte de médicaments grâce à l'IA. Depuis lors, plusieurs laboratoires, parmi lesquels Insilico Medicine, Evotec et Schrödinger, ont annoncé des essais en phase I. Plusieurs candidats médicaments ont vu leur développement clinique accéléré grâce à des solutions gérées par l'IA. Au sein des laboratoires pharmaceutiques qui se concentrent sur la découverte basée sur l'IA, il existe des informations publiquement disponibles sur environ 160 programmes de découverte, dont 15 produits qui seraient actuellement en phase de développement clinique.
Les molécules structurellement nouvelles étant nettement plus susceptibles d'être la source de nouveaux traitements prometteurs, il est essentiel d'envisager les moyens de mesurer la nouveauté des molécules conçues par IA. CAS a publié un nouvel indicateur d'innovation des médicaments basé sur la nouveauté structurelle des nouvelles entités moléculaires (NEM) afin de mieux évaluer le caractère novateur des nouveaux médicaments.
Nous avons utilisé cette nouvelle mesure de la découverte de médicaments à un stade précoce pour évaluer la nouveauté structurelle des trois premiers candidats médicaments conçus par IA à passer en phase d'essais cliniques humains. Les trois molécules (DSP-1181, EXS21546 et DSP-0038) sont en phase d'essai 1 et ont été découvertes à l'aide de la plateforme d'intelligence artificielle d'Exscientia. Même si les structures exactes n'ont pas été divulguées, les détails figurant dans les demandes de brevet récentes et dans le prospectus d'introduction en bourse d'Exscientia nous permettent d'axer notre analyse sur des molécules spécifiques intéressantes.
À quel point les trois premiers candidats médicaments conçus par IA sont-ils révolutionnaires ? Voici ce qu'a révélé notre analyse :
Le DSP-1181 dans la découverte de médicaments conçus par l'IA
Le lancement au Japon d'une étude clinique de phase 1 portant sur le DSP-1181 a été annoncé en janvier 2020. Le DSP-1181 est un agoniste du récepteur 5-HT1a de la sérotonine découvert dans le cadre d'une collaboration entre Exscientia et Sumitomo Dainippon Pharma. Il est actuellement à l'étude en tant que traitement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Trois molécules seulement sont spécifiquement revendiquées dans le brevet US10800755 (l'un des deux brevets octroyés dans la famille de brevets DSP-1181). Notre analyse structurelle a révélé que toutes les molécules revendiquées (exemples 1, 8 et 11) partagent leur forme avec l'halopéridol, un agent antipsychotique (typique) de première génération d'usage courant, approuvé par la FDA en 1967 (voir le tableau ci-dessous). Même s'ils ne sont pas approuvés par la FDA pour le traitement des TOC, certains antipsychotiques, comme l'halopéridol, ont été utilisés avec un certain succès pour augmenter les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) chez les patients atteints de TOC.
Le brevet contient aussi 38 molécules présentées à titre d'exemple avec des données de bioactivité divulguées, lesquelles, selon le prospectus d'Exscientia, représentent 11 % des 350 molécules qui ont été synthétisées et fait l'objet d'essais au cours de la découverte du DSP-1181. La forme de ces molécules exemples manque de diversité structurelle, car 58 % des molécules citées partagent la même forme que l'halopéridol, le médicament approuvé par la FDA et présenté dans le tableau ci-dessus. 21 % des molécules supplémentaires citées comme exemples sont concentrées sur une forme que partagent 28 autres médicaments approuvés par la FDA, notamment la lamotrigine, un antiépileptique et stabilisateur de l'humeur occasionnellement utilisé pour traiter les TOC. Les huit autres molécules mentionnées présentent trois formes différentes.
L'EXS21546 dans la découverte de médicaments conçus par l'IA
En décembre 2020, le candidat médicament interne de pointe le plus avancé d'Exscientia, EXS21546, a débuté un essai clinique de phase 1 au Royaume-Uni en tant que traitement d'immuno-oncologie pour plusieurs types de tumeurs. L'EXS21546 est un antagoniste du récepteur de l'adénosine A2a découvert dans le cadre d'une collaboration entre Exscientia et Evotec.
Son brevet, WO2019233994, contient 46 molécules citées en exemple avec des données de bioactivité divulguées, qui, selon le prospectus d'Exscientia, représentent 28 % des 163 molécules qui ont été synthétisées et fait l'objet d'essais pendant la découverte de l'EXS21546. Les molécules citées en exemple reflètent trois formes structurellement similaires, puisque seule la taille de quelques-uns de leurs anneaux diffère d'un ou deux atomes (voir le tableau ci-dessous). Même si ces formes ne sont actuellement partagées avec aucun médicament approuvé par la FDA, notre analyse a révélé qu'elles sont communes avec d'autres antagonistes rapportés de l'A2a, dont plusieurs ont été identifiés par Janssen et divulgués dans les brevets WO2010045006, WO2010045013 et WO2010045017 (tous ces brevets ont été déposés à la fin des années 2000).
Le DSP-0038 dans la découverte de médicaments conçus par l'IA
Le lancement d'une étude clinique de phase 1 aux États-Unis portant sur le DSP-0038 a été annoncé en mai 2021. Le DSP-0038 est un agoniste du récepteur 5-HT1a à double cible et un antagoniste du récepteur 5-HT2a découvert dans le cadre d'une collaboration entre Exscientia et Sumitomo Dainippon Pharma. Il est actuellement à l'étude en tant que traitement de la psychose dans la maladie d'Alzheimer.
Seules trois molécules sont spécifiquement revendiquées dans le brevet US10745401 (le seul brevet actuellement accordé dans la famille de brevets du DSP-0038). Les formes des molécules revendiquées (exemples 109, 135 et 171) sont structurellement similaires, car seule la taille de quelques-uns de leurs anneaux diffère d'un ou de deux atomes (voir le tableau ci-dessous). Notre analyse a révélé que deux des molécules revendiquées (exemples 135 et 171) partagent la même forme que des antipsychotiques atypiques précédemment approuvés par la FDA et utilisés pour traiter un certain nombre de troubles psychiatriques. La forme restante n'est actuellement partagée avec aucun médicament approuvé par la FDA, mais elle est structurellement similaire à la forme de plusieurs agonistes/antagonistes du récepteur de la sérotonine identifiés par Yoshitomi Pharma et Suntory et divulgués dans les brevets US5141930 et US6258805 (tous deux déposés dans les années 1990). La longueur de leurs liaisons ne diffère que de quelques atomes par rapport à la forme de l'exemple 109.
Le brevet contient aussi 194 molécules présentées à titre d'exemple avec des données de bioactivité divulguées, lesquelles, selon le prospectus d'Exscientia, représentent 40 % des 500 molécules qui ont été synthétisées et fait l'objet d'essais au cours de la découverte du DSP-0038. La forme de ces molécules exemples manque de diversité structurelle, car 78 % des molécules citées partagent la même forme que les médicaments approuvés par la FDA mentionnés dans le tableau ci-dessus et 93 % des molécules citées sont concentrées sur les formes des trois molécules revendiquées. Les 14 autres molécules mentionnées sont réparties dans huit formes différentes.
Conclusions au sujet de la découverte de médicaments par IA
L'innovation structurelle de ces candidats médicaments conçus par IA n'est peut-être pas révolutionnaire, mais cela ne diminue en rien l'impact potentiel qu'aura l'intelligence artificielle sur la découverte de médicaments. Au lieu d'imposer à l'IA un critère parfait, la nouveauté des molécules conçues par IA devrait être jugée selon les mêmes critères que les molécules créées par des chimistes en médecine. Dans ce cas, les chimistes en médecine auraient très probablement identifié ces molécules comme des candidats médicaments potentiels en utilisant des approches traditionnelles basées sur la littérature scientifique existante.
Comme l'a dit le futuriste Roy Amara, « nous avons tendance à surestimer l'effet d'une technologie à court terme et à sous-estimer son effet à long terme ». L'argument d'Amara est extrêmement pertinent dans ce cas. Les nouvelles technologies comme la découverte de médicaments par IA seront surestimées dans un premier temps, mais au fil des années, elles pourraient littéralement transformer le monde.
Les avantages cliniques les plus souvent associés aux médicaments structurellement nouveaux mettent en évidence l'importance de repousser les limites de l'espace chimique encore plus loin dans la recherche de nouveaux médicaments.La mesure de l'innovation dans l'industrie pharmaceutique est complexe, mais CAS a réussi à démontrer à quel point l'innovation pharmaceutique avait augmenté au cours des dernières décennies ; voir notre publication ACS au sujet de la manière dont la nouveauté structurelle a été proposée et utilisée pour analyser les tendances récentes dans l'innovation pharmaceutique.