Histoire d'un succès : les vaccins à ARNm
Les vaccins à ARN messager (ARNm) sont désormais un concept familier pour de nombreuses personnes, grâce à leur rôle qui a considérablement modifié le cours de la pandémie de COVID-19 et évité des millions de morts. Il ne s'agit pourtant pas d'une nouvelle découverte. En fait, le potentiel thérapeutique de l'ARNm a été identifié dès les années 1980, lorsqu'on a émis l'hypothèse selon laquelle l'ARNm pourrait être utilisé en tant que médicament s'il était administré sur une cible via des gouttelettes lipidiques. Depuis lors, des vaccins à ARNm ont été conçus pour cibler un certain nombre de pathogènes, dont le virus zika, la rage, la grippe et les cytomégalovirus.La Figure 1 ci-dessous illustre le mécanisme d'action des vaccins à ARNm pour induire une immunité à médiation cellulaire et anticorps.
Contrairement aux approches des vaccins traditionnels, qui introduisent directement des protéines antigéniques qui stimulent une réponse immunitaire dans l'hôte, les vaccins à ARNm introduisent un ARNm qui encode un antigène spécifique à la maladie et exploitent la machinerie de synthèse des protéines des cellules hôtes pour produire des antigènes qui provoquent une réponse immunitaire. La production de ces antigènes étrangers dans le corps prépare le système immunitaire à reconnaître et mémoriser cet antigène viral, de sorte qu'il soit prêt à combattre les infections futures provoquées par un virus avec ce même antigène.
Regardez cette vidéo pour découvrir comment un vaccin à ARNm utilise les cellules de notre organisme pour générer une immunité contre la COVID-19.
Vaccin à ARNm : un parcours long et sinueux
L'application efficace de la technologie des vaccins à ARNm pour combattre la COVID-19 n'aurait pas été possible sans les travaux pionniers des biochimistes, immunologistes et biologistes spécialistes du développement. Toutefois, la route de ce succès a été longue et sinueuse, avec des décennies d'impasses et de discussions au sujet de la technologie. Dans un premier temps, les chercheurs ont éprouvé beaucoup de difficultés à travailler avec l'ARNm en raison de son instabilité : un obstacle qui fut par la suite surmonté grâce au développement des nanoparticules lipidiques (NPL). Le fait d'encapsuler les ARNm dans ces petites bulles de graisse protectrices permet de les acheminer jusqu'à l'endroit approprié dans les cellules sans qu'ils ne se dégradent.
Alors que les études initiales sur les vaccins à ARNm semblaient prometteuses, le coût de l'optimisation et de la mise à niveau des plateformes de vaccins constituait une entrave majeure à leur déploiement à grande échelle. Les premières tentatives de développement et de commercialisation de vaccins à ARNm furent abandonnées en raison des défis de fabrication, notamment dans le cas d'un vaccin contre la grippe aviaire. Bon nombre de candidats vaccins n'ont jamais atteint le stade des études sur les humains et des laboratoires comme Shire et Novartis ont vendu leur portefeuille de vaccins à ARNm. Ils ne percevaient pas le potentiel économique de cette technologie.
L'émergence du vaccin à ARNm contre la COVID-19
La pandémie de COVID-19 a fortement impacté le développement de vaccins. Tout à coup, l'ARNm a été déployé rapidement et facilement en tant que vaccin pour traiter le nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2. Dans le cadre d'un effort de recherche coordonné, deux candidats vaccins à ARNm ont été rapidement approuvé en urgence pour combattre la COVID-19. Ces vaccins présentaient plusieurs avantages par rapport aux vaccins traditionnels, notamment :
- Une spécificité et une efficacité supérieures liée à l'induction de réactions immunitaires des lymphocytes B et des lymphocytes T.
- La facilité de production en gros volume dans un environnementsans cellules grâce à la transcription in vitro (TIV), qui permet un développement accéléré, un processus de production simplifié et une fabrication plus efficace
- Des avantages en termes de sécurité, à savoir l'absence d'intégration au génome cellulaire de l'hôte et l'absence d'interaction avec l'ADN (ce qui évite tout risque de mutation chez l'hôte), l'absence de formation de particules virales et l'expression transitoire de l'antigène (ce qui limite sa persistance dans l'organisme).
Les efforts concertés des scientifiques du monde entier pendant la pandémie de COVID-19 ont accéléré le développement de vaccins à ARNm et nous ont aidés à surmonter les défis qui avaient entravé les recherches initiales. Les connaissances obtenues lors de la pandémie seront précieuses dans le domaine de la technologie des vaccins et dans la quête de production de vaccins futurs en adoptant des approches à ARN.
Le pipeline des vaccins à ARNm
Confortés par le succès des vaccins à ARNm contre la COVID-19, environ 90 chercheurs de premier plan développent des candidats vaccins à ARNm contre toute une série de pathogènes. Moderna à lui seul développe des vaccins à ARNm contre le virus d'Epstein-Barr, le cytomégalovirus, la grippe saisonnière et le virus respiratoire syncytial. Des projets sont également à l'étude pour le développement de vaccins à ARNm contre le virus de l'herpes simplex, la sclérose en plaques, le cancer et le virus d'immunodéficience humaine. Des essais cliniques du premier vaccin à ARNm contre la malaria devraient débuter cette année, dans l'espoir de vaincre cette maladie longtemps négligée. Les applications de cette technologie semblent illimitées.
Un regard sur le pipeline démontre que les chercheurs explorent un certain nombre de formats de technologies d'ARNm, notamment des ARNm modifiés, non modifiés et à auto-amplification. Même si l'approche au NPL reste la plus populaire pour acheminer l'ARNm jusqu'à sa cible, des dispositifs d'administration alternatifs tels que les nanoémulsions cationiques et les polymères sont également à l'étude. Les développeurs pensent que ces nouvelles formulations pourraient présenter des avantages en termes de stabilité, de puissance, d'immunogénicité et de valence. Toutefois, alors qu'environ trois quarts des candidats vaccins à ARNm en sont à une phase de développement préclinique/exploratoire, il faudra attendre plusieurs années pour voir les résultats de ces nouvelles technologies dans des essais cliniques.
Optimisation des vaccins à ARNm pour des utilisations futures
Même si le domaine des vaccins à ARNm a progressé au cours des dernières années, il reste plusieurs défis au développement de processus, notamment l'approvisionnement en ADN plasmidique, la complexité des processus de transcription in vitro et d'encapsulation, la variété des profils d'impureté de l'ARNm et le besoin de stockage à très basse température.
D'autres facteurs renforcent le besoin de la poursuite de l'innovation, notamment le risque d'émergence potentielle de variants des virus (comme c'est le cas de la COVID-19) et la nécessité d'administration à haute dose pouvant entraîner des réactions au site d'injection chez des personnes vaccinées contre le SARS-CoV-2.
Stabilité
Bien qu'il s'agisse d'un attribut important, très peu de recherches ont été consacrées à l'examen du profil de stabilité des médicaments à ARNm, notamment les ARNm à NPL et les complexes ARNm-protéines. Plusieurs études examinent les effets de la lyophilisation sur l'intégrité de l'ARNm. D'autres approches comprennent le séchage par pulvérisation de l'ARNm et la génération de lyosphères (gouttelettes lyophilisées contenant de l'ARNm). Ce domaine de la recherche sera essentiel pour le déploiement futur à grande échelle de vaccins à ARNm.
Coût
Comme indiqué précédemment, le coût représentait dans un premier temps une limite majeure à l'avancement des vaccins à ARNm et ce facteur restera une considération importante. Actuellement, des quantités relativement élevées d'ARN sont nécessaires pour produire un vaccin : cela coûte non seulement du temps et de l'argent, mais augmente également la probabilité des effets secondaires potentiels (nous y reviendrons par la suite). En outre, le stockage à très basse température de -70 °C est coûteux et nécessite des congélateurs spéciaux dont ne disposent pas toujours dans les centres de distribution ou de vaccination. Les chercheurs prévoient que les investissements dans l'infrastructure de fabrication et les matières premières nécessaires à la production de vaccins à ARNm réduiront également le coût de ces vaccins à long terme.
Réduction de la dose
L'un des moyens de négocier les obstacles de la réduction de dose d'ARN consiste à utiliser un ARN auto-amplificateur.
Similaire à l'ARN en termes de structure, il est beaucoup plus gros, encodant une réplicase qui permet l'amplification du brin d'ARN d'origine lors de son administration dans la cellule. On obtient ainsi un rendement nettement supérieur de la protéine, qui nécessite une dose minime d'ARN et apporte des avantages supplémentaires en termes de coût et d'efficacité. Toutefois, un problème potentiel tient à la taille de la molécule et à l'impact de ce facteur sur l'administration.
Les vaccins à ARNm sont utilisés depuis des années, mais leur potentiel clinique est resté inexploité jusqu'à l'arrivée d'une pandémie mondiale. Des progrès considérables ont été réalisés en l'espace de quelques années. Les priorités sont claires quant à ce qui est requis pour produire une nouvelle génération de vaccins à ARNm. Cet espace devrait produire de nouveaux développements.
Un univers thérapeutique au-delà des vaccins à ARNm
Pour découvrir le monde des traitements dérivés de l'ARNm au-delà des vaccins à ARNm, lisez notre rapport Insights « Médicaments dérivés de l'ARN : Examen des tendances et des développements de la recherche », sur l'application de l'ARN dans la médecine et la manière dont les modifications chimiques et la nanotechnologie peuvent améliorer l'administration et l'efficacité des produits pharmaceutiques à base d'ARN.