En décembre 2021, plus de 8 milliards de doses de vaccin contre la maladie du coronavirus 2019 (COVID-19) avaient été administrées, dont environ 217 millions de doses de « rappel ». La cible principale de ces vaccins est ce que l'on appelle la protéine « spike » ou protéines « S », une protéine virale essentielle qui joue un rôle majeur pour permettre au virus d'envahir les cellules hôtes.
Même si les vaccins sont indispensables, le développement de traitements contre la COVID-19 a révélé que les protéines intrinsèquement désordonnées pourraient jouer un rôle pathologique majeur. Historiquement, les biologistes ont toujours pensé que la séquence d'acides aminés de chaque protéine détermine sa structure tridimensionnelle, laquelle à son tour, définit sa fonction. Toutefois, un grand groupe de protéines et de régions ne possèdent pas de structure 3D fixe ou ordonnée, mais démontrent malgré tout des activités biologiques essentielles - il s'agit de ce que l'on appelle les protéines et les régions intrinsèquement désordonnées (Figure 1).
Cette perturbation des protéines est encodée en séquences d'acides aminés et abondante dans tous les organismes vivants et les virus. Une compréhension plus approfondie de ces régions intéressantes des caractéristiques de la protéine SARS-CoV-2 pourrait permettre une progression plus rapide vers la mise au point de traitements contre la COVID-19.
Exemples de protéines intrinsèquement désordonnées
La variabilité naturelle inhérente aux « protéines intrinsèquement désordonnées » (PID) ou aux « régions intrinsèquement désordonnées » (RID) des protéines se retrouve dans les trois règnes du vivant. Elles sont liées à des processus importants tels que la catalyse enzymatique, la régulation allostérique, la signalisation cellulaire, la transcription et autres.
Toutefois, elles jouent aussi un rôle dans la maladie, y compris les affections neurodégénératives, le diabète, les maladies cardiovasculaires, l'amyloïdose, les maladies génétiques et le cancer. En outre, les protéines virales contiennent souvent de telles régions, qui ont été corrélées à leur virulence, car elles favorisent l'aptitude des protéines virales à se lier facilement et de manière rapprochée aux protéines hôtes.
L'intérêt pour les PID/RID dans la science des protéines a augmenté rapidement depuis l'an 2000, comme le démontre une recherche dans CAS Collection de contenusTM (Figure 2) et leur rôle dans la conception de médicaments, notamment contre la COVID-19, commence à être analysé.
Les protéines intrinsèquement désordonnées dans le SARS-CoV-2
Le SARS-CoV-2 forme un virion comprenant son ARN génomique englobé dans une particule comprenant : la protéine S, importante pour pénétrer les cellules hôtes ; la protéine membranaire (M) facilitant l'assemblage viral ; la protéine d'enveloppe du petit canal ionique (E) ; et la protéine de la nucléocapside (N), qui s'assemble avec l'ARN viral pour former la nucléocapside (Figure 3).
Les PID/RID ne sont pas courantes dans le protéome du SARS-CoV-2. En fait, le protéome du SARS-CoV-2 démontre des niveaux importants d'ordre structurel ; sauf la protéine de nucléocapside (N), les protéines du SARS-CoV-2 sont hautement ordonnées et contiennent quelques régions de protéines intrinsèquement désordonnées. Il est à noter toutefois que les régions désordonnées existantes contribuent de manière importante au fonctionnement et à la virulence du virus et sont donc des cibles médicamenteuses prometteuses dans la recherche d'un médicament antiviral ; une telle approche s'est déjà avérée précieuse pour identifier de nouveaux candidats médicaments.
La protéine de nucléocapside (N)
La protéine N, qui se lie à l'ARN, stabilise l'ARN génomique à l'intérieur de la particule virale et régule la transcription, la réplication et l'enveloppe du génome viral. La protéine N est hautement désordonnée : son pourcentage moyen de désordre intrinsèque prévu est de l'ordre de 65 %. Ces régions désordonnées semblent importantes pour préserver la nucléocapside et pourraient donc constituer des cibles pour la conception de médicaments. Les régions désordonnées au sein de la protéine N semblent également importantes pour permettre à la protéine de s'agréger via un processus appelé « séparation de phase liquide-liquide », potentiellement comme un moyen de perturber la formation naturelle de granules de stress importantes dans l'immunité des cellules hôtes. Ainsi, la perturbation du processus de séparation de phase liquide-liquide de la protéine N semble prometteuse pour l'intervention antivirale et offre de nouvelles cibles et stratégies en termes de mise au point de médicaments contre la COVID-19.
La protéine spike (S)
La protéine S est posée sur la surface du virus comme une couronne. Elle est essentielle pour la pénétration du virus dans l'hôte (Figure 4) et à ce titre, est une cible médicamenteuse couramment utilisée dans le développement de vaccins contre la COVID-19. La liaison au récepteur et la fusion membranaire, qui sont les étapes initiales de l'infection, sont toutes deux liées à des régions de désordre intrinsèque majeur.
L'analyse de la protéine S indique que les deux sites de clivage des sous-unités S associés à la maturation de la protéine S, ainsi que la peptide de fusion S, sont associés à des RDI. Si on considère que la digestion protéolytique est nettement plus rapide dans les régions non-structurées que dans les régions structurées de la protéine, cette spécificité structurelle de la protéine S du SARS-CoV-2 pourrait présenter une importance fonctionnelle majeure.
Pendant l'infection au SARS-CoV-2, des RID peuvent être détectées au niveau de l'interface de la protéine spike et du récepteur ACE2 présent dans les tissus humains auxquels le virus se lie. Les résidus clés de la protéine spike possèdent une forte affinité de liaison à l'ACE2, ce qui est probablement l'une des raisons de la transmissibilité élevée du SARS-CoV-2.
Ainsi, la liaison au récepteur et la fusion membranaire, les étapes initiales et importantes de l'infection au coronavirus, sont toutes deux liées à des régions de désordre intrinsèque substantiel de la protéine S. Elles sont donc des cibles majeures pour inhiber l'infection au SARS-CoV-2.
La protéine membranaire (M)
La protéine M est une protéine transmembranaire majeure présente en grand nombre dans le virion. Le SARS-CoV-2 est l'un des coronavirus dont l'enveloppe protectrice externe est la plus dure : cela pourrait être dû au faible désordre intrinsèque de la protéine M (6 %) et expliquer la résilience et la transmissibilité élevées du virus. En fait, une corrélation a été démontrée entre la virulence de différents virus et le pourcentage de désordre intrinsèque de leurs protéines M, les protéines M les moins désordonnées étant associées à des virus plus contagieux.
Perspectives d'avenir : les limites de la conception de médicaments
L'apparition de nouveaux virus et d'épidémies associées dans le monde entier constitue actuellement une préoccupation majeure. La connaissance des structures et des fonctions des protéines virales est par conséquent très importante pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques afin de prévenir et de traiter les maladies.
Dans notre publication révisée par des pairs dans ACS Infectious Diseases, nous résumons les informations disponibles au sujet du protéome du SARS-CoV-2 en ce qui concerne la survenue d'un désordre intrinsèque dans ses protéines. En fait, on a constaté que le protéome du SARS-CoV-2 présente des niveaux substantiels d'ordre structurel : seule sa protéine N est très désordonnée. Même si d'autres protéines du SARS-CoV-2 se caractérisent par des degrés de désordre moindres, leurs RID existantes contribuent en grande partie au fonctionnement et à la virulence du virus et constituent des cibles prometteuses pour la conception de médicaments antiviraux.
Les PID sont très répandues et possèdent de nombreuses fonctions biologiques cruciales qui complètent les fonctionnalités des protéines ordonnées. Toutefois, en cas de dysfonctionnement (par ex. mauvaise expression, mauvais traitement ou mauvaise régulation), les PID/RID ont tendance à produire des interactions indésirables et à participer au développement de différents états pathologiques. En fait, de nombreuses protéines associées aux maladies neurodégénératives, au diabète, aux maladies cardiovasculaires, à l'amyloïdose et aux maladies génétiques, ainsi que la plupart des protéines liées au cancer humain sont des PID ou contiennent de longues RID.
Même s'il est possible d'utiliser des techniques de biologie structurelle dans le développement de médicaments, la pratique de conception naturelle de médicaments a traditionnellement sous-représenté la présence d'un désordre intrinsèque dans les protéines ciblées. Comprendre la structure de ces régions dans le SARS-CoV-2 et d'autres protéomes de pathogènes serait de toute évidence très utile pour mettre au point des médicaments contre la COVID-19 et au-delà, en continuant à repousser les limites de la conception des médicaments.